
Successivement étudiant, chargé de cours et administrateur à l’UQAC : réflexions au terme d’une carrière passionnante en travail social et en enseignement universitaire.
Pierre Dostie ts, MSS, chargé de cours
Je suis un universitaire de première génération. Ni mes parents, ni mes grands-parents encore moins, n’ont eu accès à l’université. Je suis un fils de la classe ouvrière et j’en suis fier. Mon père a gagné sa vie dans les mines d’amiante à Thetford Mines et ma mère s’est consacrée à élever notre famille de six enfants. J’ai connu l’UQAC en 1977, alors que j’y débutais un bac en Sc sociales, un genre d’ancêtre du bac en travail social. Les cours et le cheminement y ressemblaient au point où j’ai pu faire un stage de deux trimestres en organisation communautaire au CLSC Saguenay-Nord en 79-80. Né à Lac-Mégantic et ayant grandi dans la région de Chaudière-Appalaches, je suis plongé dans la Saguenay—Lac-Saint-Jean comme un poisson dans l’eau.
Fibre militante
J’avais déjà la fibre militante au point où certains de mes professeurs me rappelaient que si mes études nuisaient à mes engagements, il me faudrait faire des choix. Mais cela ne m’a pas empêché d’avoir de bons résultats, tout en poursuivant mes engagements sociaux et politiques.
Parmi ces engagements à l’époque, outre l’Association générale étudiante (AGE) dont j’ai été président en 1978 (ancêtre du MAGE-UQAC), le premier journal étudiant (le Kakou), et la radio communautaire de Jonquière (CHOC-MF), il y a eu la mise en place de la Coopérative de recherche et d’intervention socio-économique (CRISE), qui allait devenir plus simplement la Coopsco. Avec mes collègues Gilles Dubois et Dominique Trudel, nous avions lancé une mobilisation à l’échelle de la communauté universitaire, fait un plan d’affaires et fondé la coopérative qui est aujourd’hui une entreprise florissante.
Après un contrat de deux ans à Montréal à la suite de ma graduation en 1980, je suis retourné dans ma région d’origine en me disant régulièrement qu’au SagLac, j’y reviendrais n’importe quand. J’y ai entretenu d’ailleurs de fortes amitiés malgré l’éloignement et à travers le temps.
Retour en région
L’occasion s’est présentée dans un contexte où, en 1993, après 11 ans de pratique en CLSC, d’ancienneté et je dois dire de désenchantement, et après une maîtrise en service social des groupes faite à temps partiel à l’Université Laval, tout en conciliant mon rôle de travailleur et de jeune père, je sautai sur l’occasion d’un contrat de travailleur social au département de toxicomanie de l’hôpital de Jonquière où je donnai libre-cours à ma passion pour l’intervention de groupe. Quand j’y pense, c’est quand même un parcours particulier que de provenir d’une autre région pour venir étudier ici, quitter la région après les études et revenir après 13 ans, pour y rester.
L’indépendantiste en moi vous dira que j’ai comme grande fierté d’avoir voté « Oui » avec la majorité régionale, aux deux référendums de 1980 et de 1995.
La passion d’enseigner
Parallèlement à mes nouvelles fonctions de travailleur social en toxico, je débutai ma carrière de chargé de cours à l’UQAC qui s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui. La passion du travail social s’est doublée d’une passion pour l’enseignement qui m’a permis de me tenir à jour sur ma profession et sur la réalité des nouvelles générations, de leur communiquer mon expérience pratique et, je dois l’avouer, de tenir le coup, parfois même en sublimant, pendant les années difficiles qu’a traversé le réseau de la santé et des services sociaux. Le contexte que nous traversons dans cette interminable pandémie ne nous porte pas à croire qu’il a pu y avoir des années difficiles auparavant, mais oui. C’était différent, mais rude, entre autres dans les années ’80 où la main-d’œuvre surabondait à la différence d’aujourd’hui – on a pu voir plus de 100 personnes postuler sur un emploi de ts dans une petite ville – alors que les coupes de budget dans les années ’90 ont affecté grandement notre quotidien.
C’est en 1997 que la morosité post-référendaire et le virage à droite du gouvernement de Lucien Bouchard ont éveillé un mouvement de rassemblement et d’unification de la gauche québécoise dans lequel je me suis intensément engagé, et dans lequel je joue encore un rôle, plus modeste aujourd’hui, auprès de la belle jeunesse qui a pris la relève.
Un rêve amorcé et abruptement interrompu
Je pris une retraite précipitée du CSSS de Jonquière en 2015 alors que j’étais devenu cadre supérieur depuis une dizaine d’années, notamment comme Directeur des clientèles en Dépendances, Santé mentale, Enfance-famille-jeunesse, et Santé publique. Certaines réformes menées depuis 2004 avaient ouvert la porte à des défis qui m’ont attiré vers ces fonctions, dont celui de la responsabilité populationnelle, que notre établissement a choisi d’assumer en partageant les décisions sur les trajectoires de services et sur les budgets de santé publique avec les 95 organismes partenaires du réseau local de services, le Conseil des partenaires, une instance démocratique élective relevant directement du C.A. Cette initiative, saluée à l’échelle du Québec, fait partie du patrimoine que la contre-réforme Barrette de 2015 a jeté aux poubelles, prétendument parce que « ça n’apportait rien aux patients » (sic).
Ma carrière en santé et services sociaux s’est terminée abruptement après 33 ans, sans préparation, sans faire de legs, sans prendre le temps de boucler mon expérience, pendant que l’on démolissait ce qui avait été construit dans la décennie précédente.
Depuis 2015, je me suis concentré sur ma carrière de chargé de cours, dans ma continuité en quelque sorte, et sur ma vie de semi-retraité. J’ai éprouvé une grande satisfaction à prendre le temps de préparer mes cours et de me rendre disponible aux besoins des étudiant.es. Cela m’a aussi laissé plus de temps pour mes engagements sociaux et politiques, qui eux n’ont jamais cessé depuis plus de 50 ans maintenant. J’ai pu enfin boucler une partie de ma vie professionnelle.
Implication institutionnelle
Je me suis impliqué au sein de notre université depuis le début. Que ce soit comme étudiant, chargé de cours ou administrateur. J’y ai fait des rencontres extraordinaires, j’ai développé des liens solides avec des personnes de tous horizons. Que ce soit au sein de l’Unité d’enseignement en travail social, ou de son ancêtre le Conseil de module (en 2006 et depuis 2016), où j’ai pu à deux occasions agir comme chargé de projet pour l’évaluation et l’agrément du bac en travail social (en 2000 et 2007), que ce soit au sein de la Commission des études de la recherche et de la création (2016-2018), ou que ce soit au Conseil d’administration (depuis 2018) où je siège toujours pendant encore quelque temps, ou encore au Syndicat des chargé.e.s de cours qui fait un travail remarquable pour briser l’isolement de ses membres, améliorer leurs conditions et favoriser leur intégration dans une institution qui dépend en grande partie de leurs compétences, mais qui les rend souvent invisibles. J’ai traversé toutes les crises et toutes les réussites de cette institution du haut savoir depuis bientôt 30 ans, à laquelle je suis tant attaché et de laquelle je suis si reconnaissant. J’ai l’impression aujourd’hui que l’UQAC n’est pas seulement mon Alma mater. Elle a été pour moi le lieu d’une carrière d’enseignement universitaire hautement enrichissante, bien qu’à temps partiel. Que ce soit par les échanges et collaborations avec les collègues chargé.es de cours ou certain.es professeur.es, ou l’engagement dans les différentes instances de l’université. Tout compte fait, je suis heureux d’avoir pu donner en fin de carrière, quelques années d’engagement, en partie bénévole, au bénéfice de notre institution.
J’aimerais bien pouvoir faire un « mégadon » à la Fondation de l’UQAC comme ceux que font certains multimillionnaires à McGill, Concordia ou Bishop’s. Quand on a reçu, on peut avoir envie de redonner. Et même avec des moyens limités, c’est toujours de bon cœur. Le réseau de l’UQ est un acquis fragile qui en a particulièrement besoin…
En tout cas, sur le plan professionnel, et en bonne partie sur le plan personnel, l’UQAC, pour moi, c’est là où tout a commencé, et c’est là où j’ai le privilège de pouvoir boucler la boucle aujourd’hui.
Je veux remercier sincèrement toutes les étudiantes et tous les étudiants que j’ai eus, les assistant.es pédagogiques, les collègues chargé.es de cours, professeur.es, attaché.es administratives ou techniciens, professionnel.les, personnel de soutien, cadres, cadres supérieur.es et chef.fes d’établissement, toutes les personnes qui contribuent chaque jour au développement de notre université. Vous avez aussi contribué à mon éducation et à mon développement, comme à celui de la région et du Québec. Je vous suis toutes et tous reconnaissant.
Perspectives
Je prépare ma retraite pour la fin de juin 2022 et je pense encore parfois à certains de mes anciens enseignant.es de l’UQAC, dont quelques-uns sont aujourd’hui décédés, et à ce que ces maîtres m’ont transmis. La passion du travail social, l’engagement envers les groupes vulnérables, envers le Québec et ses régions, pour une société qui ne laisse personne derrière.
L’Université du Québec n’est pas tombée du ciel. La génération de mes parents s’est battue et a marché dans les rues pour McGill français, la création des cégeps et du réseau de l’Université du Québec. J’ai marché pour cela en 1969 avec mes parents.
Je me souviens d’une intervention de mon père alors en pleine grève de l’amiante en 1975, lors d’une assemblée d’information aux parents organisée par l’association étudiante du cégep dont je faisais partie. Il expliquait combien cette lutte pour les prêts et bourses était importante pour la classe ouvrière, pour l’accès aux études supérieures, pour sortir du cercle vicieux de la pauvreté.
L’Université du Québec m’a ouvert, ainsi qu’à ma génération et aux suivantes, des portes vers l’accomplissement individuel et collectif.
Aujourd’hui, il est encore nécessaire de retourner dans la rue pour dénoncer un réseau universitaire à deux, sinon trois vitesses, et pour réclamer la gratuité scolaire qu’avait tant souhaitée le rapport Parent, et ce pour quoi se battent encore nos étudiant.es en ce moment.
Aussi pourquoi l’UQAC ne décerne-t-elle pas un doctorat honorifique à Sonia Côté, de Loge m’entraide, ou à Jean Paradis, fondateur de Négawatts ?
Comme quoi ce n’est jamais fini et qu’il n’y a jamais, malgré les avancées, de quoi s’asseoir sur nos lauriers…
Mille fois bravo mon cher Pierre! Un très pertinent témoignage de ton itinéraire! Ça fait 12 ans que je suis à la retraite et toujours actif. Je te souhaite la même chose. À la retraite, on n’est pas dans l’urgence…et c’est une force. On pense plus loin que notre nez! prends le temps de jeter un regard sur le site du Fonds Solidarité Sud 10 ou 15 minutes. Peut-être y trouveras-tu un nouvel intérêt. Il a beaucoup changé au fil des ans et pour le mieux. Tu auras des surprises. Meilleures salutations! Louis F.
J’aimeJ’aime
Merci Beaucoup Louis, ça fait plaisir. Tu as bien raison. Pour le Fonds Solidarité Sud je vais le faire, mon intérêt est toujours là.
J’aimeJ’aime
Merci Pierre pour ton implication. Bonne retraite.J’ai beaucoup apprécié travailler avec toi.Tu as le travail social tatoué dans le cœur.Lyne BrochuTu as beaucoup apporté à notre communauté, tant personnel que professionnel.
J’aimeJ’aime
Merci Lyne. je garde un beau souvenir des équipes du CLSC de Jonquière, des gens avec une belle expertise, du coeur au ventre et dédiés à leur communauté.
J’aimeJ’aime
Bonne retraite Pierre. J’ai beaucoup apprécié travailler avec toi. Tu as été un bon enseignant à UQAC aussi. J’ai beaucoup appris de toi et tu m’a aidé à être une meilleure intervenante. Nos discussions aidaient à nous dépasser comme intervenant. Tu as fait que le monde soit meilleur. Merci pour tout. XXX
J’aimeJ’aime
Merci Joan. Nous savons que les questions sont plus pertinentes que les réponses et en cela tu as toujours posé les plus pertinentes. Et tu as su être une intervenante de confiance pour mettre en place de nouveaux services ou régler des questions délicates. Merci à toi.
J’aimeJ’aime
Bonne retraite M.Dostie , j’étais dans la cohorte des finissantes de 2005 où nous avons eu tellement de plaisir notre « équipe » de B.A.C en travail social avec votre calme « légendaire » et votre intégrité diva vos convictions ! ❤️ Vous êtes un bon exemple de « force tranquille » qui m’a /nous a inspiré dans notre travail au quotidien! Bonne continuité dans vos projets pour demeurer actif vs votre retraite! Vous avez été inspirant pour pour nous ! ❤️
J’aimeJ’aime
Merci beaucoup Valérie. Je garde également un souvenir intarissable de ces bons moments et je suis heureux de voir les belles valeurs toujours bien vivantes chez nos étudiant.es aujourd’hui.
J’aimeJ’aime
Bonne retraite Pierre ! Tellement méritée. Depuis tes premiers pas de politisation à Thetford puis, de manière constante, ton implication soutenue est digne d’être honorée. Tu es un exemple d’engagement désintéressé et ce, dans toutes les fonctions que tu as occupées. Tu peux en être fier, C’est à ton tour, profites en bien !
J’aimeJ’aime
Merci beaucoup Denis. Et ce fut un réel plaisir de te retrouver au CLSC de Jonquière pendant quelques années. Je te souhaites le meilleur dans ta vie actuelle. J’espère avoir le plaisir de te revoir bientôt.
J’aimeJ’aime